« Fengshui : un art de vivre au présent »

2017-04-04

Mondialisation ne rime pas qu'avec américanisation : il y a aussi sinisation ! Au-delà des modes et des inventions d'Oncle Sam, omniprésentes dans bien des pays, les recettes de grand-père Confucius commencent à avoir le vent en poupe. Chaque mois, La Chine au présent vous présente ces Européens qui vivent une passion chinoise.

(France) CHRISTOPHE TRONTIN

La première chose qu'on remarque en rencontrant Nicole, c'est son sourire radieux. Le sourire serein d'une personne qui a mis de l'ordre dans sa vie, qui a remis à plat les différents éléments de ses horoscopes chinois et européen, adouci les angles aigus et les coins contondants, aligné miroirs et plantes vertes, et dont les aquariums sont disposés de façon à laisser circuler le qi. Le qi, c'est... bon, reprenons les choses dans l'ordre.

Nicole avait commencé par se diriger vers une carrière musicale. École de musique, conservatoire. Mais son destin prend une autre voie lorsqu'elle fait la connaissance d'un Allemand, un certain Lothar, continuateur de cette lignée de gourous européens qui ont commencé, dans les années 70, à recevoir les enseignements du lama Karmapa au Tibet. Elle est tout de suite éblouie, fascinée, et en même temps elle a le vertige devant cette fenêtre qui s'ouvre sur des perceptions nouvelles. Le vrai bouddhisme n'est pas politique, ni même religieux, dit-elle : ce sont des pratiques millénaires qui se sont transmises jusqu'à aujourd'hui.

Elle se lance dans une digression. Elle m'apprend qu'en Chine, le taoïsme a été structuré par l'influence du bouddhisme, que le fengshui se trouve à la croisée de ces deux mouvements. Le fengshui lui même comprend toute une série de disciplines qui se divisent en « disciplines yin » (magie, rituels funéraires, communication avec les défunts) et « disciplines yang » (géomancie, horoscopes, divination, éveil).

Une école en mutation

D'ailleurs son évolution s'est poursuivie depuis. À la fin du XXesiècle, le bouddhisme tibétain s'est globalisé suite à l'afflux des soixante-huitards new-age vers les hauts plateaux himalayens. Quelques lamas ont vu dans ces étrangers l'opportunité de diffuser leur message sur d'autres continents. Autres cultures, autres lectures. Rien de commun a priori entre la méditation solitaire des ermites himalayens et le culte de la performance des Occidentaux ? Américains et Européens séduits par ces préceptes anciens ont dû les réinterpréter un peu, comme Lothar Bayer qui s'en est inspiré assez librement pour former une nouvelle philosophie plus adaptée à la vie moderne. L'ascétisme des montagnards a fait une place aux préoccupations matérielles, donnant finalement naissance à la philosophie utilitaire et individualiste prônant le respect de soi et le développement personnel que nous connaissons. C'est ainsi qu'est né le fengshui à l'occidentale.

On ne s'improvise pas du jour au lendemain experte en fengshui. Nicole est bien sûr passée par le parcours initiatique et une formation particulièrement ardue basée sur l'observation puis la pratique. Elle s'est d'abord rendue en Malaisie où, pendant trois semaines, elle a alterné les cours théoriques et les exercices d'application. Exemple d'exercice : on vous désigne un bâtiment dans la ville, et vous disposez d'une journée pour l'étudier. Le soir, chaque élève présente à ses condisciples ses observations et ses conclusions, sous la supervision critique du professeur. À la fin du stage, un examen sanctionnait les connaissances acquises. En Asie, en Europe, aux États-Unis, Nicole a enchaîné les séminaires et les formations de ce genre avant de se lancer dans la vie active.

« C'est en forgeant qu'on devient forgeron »

« Les séminaires ne sont pas tout, il faut un jour voler de ses propres ailes, explique-t-elle avec un sourire. Bien sûr, au début, on hésite, on se demande si on a vraiment les compétences. J'ai commencé par donner des conseils à mes amis, puis à des amis d'amis. J'ai appris à facturer mes services, c'était une partie importante de notre formation, car un conseil donné en l'air, c'est du vent. » Au début, évidemment, on hésite à demander des sommes importantes. Et puis avec la pratique vient l'assurance, et les tarifs augmentent. À en juger par son appartement spacieux et luxueux, situé dans un quartier agréable de la capitale européenne, agrémenté d'une cascade qui murmure dans l'entrée, on se doute qu'elle ne se contente pas d'un pourboire.

Pas besoin de tomber dans le mysticisme. Nicole explique bien que la source de tous ces principes millénaires réside dans notre façon de fonctionner, dans l'interaction corps-esprit. « Lorsque vous agencez votre espace de travail, arrangez-vous pour que votre siège soit dos au mur, et faites en sorte de faire face à la porte. Tout cela découle de notre atavisme : comme nous n'avons pas d'yeux dans le dos, notre organisme mobilisera inconsciemment nos autres sens pour surveiller le passage où quelque menace peut apparaître, d'où difficulté à se concentrer, et donc à travailler efficacement. »

« Je m'occupe de deux à trois clients par jour. Ça semble peu, mais c'est une charge de travail conséquente si on veut le faire correctement. Demander au client un plan des lieux, étudier les flux d'énergie. Visiter les locaux, réfléchir, voir avec l'intéressé ses préférences et ses priorités. »

La philosophie chinoise ancestrale affirme que l'orientation d'un bâtiment et son aménagement influencent l'énergie qui y circule et par là même le bien-être, la santé et la prospérité de ses occupants. Je me perds un peu lorsqu'elle attaque des explications plus techniques. Ainsi que le Dao, le fengshui s'étend à tous les aspects de la vie. La branche astrologique cherche à déterminer les moments favorables ou défavorables à telle ou telle activité. La branche la plus connue chez nous est celle de la géomancie qui s'attache aux emplacements des bâtiments et des aménagements intérieurs. « Évidemment, un bâtiment en coin qui pointe vers votre fenêtre vous mettra mal à l'aise. À force, il minera votre moral et pourra entraîner des affections que la médecine ne saura pas expliquer », affirme-t-elle en pointant une fourchette vers mon visage. « Sentez-vous le malaise que je crée en prenant une posture menaçante telle que celle-ci ? Combien de temps pouvez-vous supporter ça avant de réagir ? C'est pareil avec les bâtiments... »

Appliquer les principes du fengshui, c'est se débarrasser du superflu pour reconquérir l'espace. L'harmonie d'un domicile, cela s'apprend, cela s'organise, cela s'entretient. « Il faut libérer les lieux de passage, à commencer par l'entrée. Trier, jeter, ranger. Il en va des objets comme des amis : il ne faut conserver que ceux qui vous sont agréables ou nécessaires. » Le fengshui, une spécialité qui englobe bien des disciplines, depuis la psychologie jusqu'à l'architecture d'intérieur.

Et de me raconter sa première expérience concluante. « C'était une entreprise de recyclage des métaux. La visite du site avait été impressionnante : on fait difficilement mieux dans le genre ''infraction à toutes les règles de circulation du qi"! » Comment créer un cadre agréable et propice au travail, lorsque l'entreprise se trouve dans une zone industrielle, que des piles de ferraille rouillent de partout, et que les bureaux, sombres, se trouvent dans un container aménagé qui sent mauvais ? En tournant la situation à son avantage. En créant une toute petite oasis paradisiaque au milieu de cet enfer. Le cadre cauchemardesque mettra en valeur comme un écrin le bureau fonctionnel, débarrassé de tout superflu. Éclairage d'ambiance, plantes vertes, petite fontaine d'intérieur... l'ambiance change du tout au tout. Nicole me révèle sans fausse modestie que la PME de l'époque est désormais l'un des leaders du secteur.

Elle garde le secret sur ses tarifs, précisant juste qu'au début, ses cachets se chiffraient en centaines d'euros, et maintenant en milliers. « Lorsqu'un client me semble intéressant mais qu'il ne dispose pas d'un budget suffisant, je lui recommande un spécialiste aux tarifs moins élevés. Cela peut l'aider à résoudre une partie des problèmes, le sensibiliser au fengshui. » Et d'ajouter : « Le consultant n'est pas simplement un oracle qui dicte ses quatre volontés à un client passif, il recherche avec lui les solutions optimales. Parfois, il faut se casser la tête pendant plusieurs jours, trouver une approche créative, inventer des techniques jamais essayées. C'est passionnant ! La plupart des clients reviennent me voir, un mois ou un an plus tard, pour d'autres projets. Une fois amélioré leur bureau, certains souhaitent travailler sur leur domicile. Ou inversement. D'autres arrivent avec un projet immobilier pour me demander d'examiner leurs esquisses et leurs plans d'aménagement. Ou alors, ils souhaitent acquérir un appartement et veulent un état des lieux du point de vue du fengshui. »

今日中国


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